9 juin 2011

Une photo = une histoire; laisse béton.

Phnom Penh, 17 May 1993: je résidais alors à Siem Reap, mais lorsque j’avais des réunions à Phnom Penh, je descendais en général au Tokyo hotel, un petit hôtel qui s’était vite construit, misant judicieusement sur la manne que représentaient les très nombreux employés onusiens de l’APRONUC en mission au Cambodge, durant cette année charnière. Ce soir-là, j’arrivai tard, et je ne pus obtenir que la dernière chambre, celle au rez-de-chaussée, avec la grande baie vitrée donnant directement sur le parking de l’hôtel. Normalement, les règles de sécurité de l’ONU m’interdisent de prendre une chambre au rez-de-chaussée, de même que toute chambre au-delà du 7ème étage (la limite de la grande échelle des pompiers), mais je n’avais pas le choix. Je pris donc la chambre avec quelque appréhension, me contentant de fermer les rideaux. Et ce qui devait arriver arriva:

4 juin 2011

Land Cruiser, ô mon Land Cruiser !

(Acte 1)
Surin, Thaïlande - Un soir que je sortais du supermarché les bras chargé d’emplettes, j’eus la désagréable surprise de constater que ma voiture avait disparu!  Je me précipitai à la sécurité du magasin et priai les agents d’appeler la police pour demander de placer immédiatement des barrages sur les routes menant à la frontière.  Je comprenais en effet très bien ce qu’il se passait: ma voiture avait été volée, et à cet instant précis les voleurs devaient être en train de filer droit sur la frontière cambodgienne, pour la traverser, puis revendre la voiture au Cambodge. Le schéma était classique[1]. Et puis ma voiture était un gros Land Cruiser Toyota, très prisé dans le pays voisin aux routes si cabossées. C’était ma voiture de fonction, un outil de travail indispensable puisque je faisais entre 80 et 160 km par jour pour rejoindre les camps de réfugiés de Site B et O’trao (selon les jours); une longue route dont une grosse partie se faisait sur des pistes très accidentées, inondées et embourbées en période de mousson. Ce 4x4 n’était donc pas un luxe de bobo citadin mais bel et bien une nécessité. En outre, en tant qu’officier de sécurité, en stand-by permanent, je disposais de la voiture 24H/24H. Les Land Cruisers Toyota sont des cibles de choix des voleurs de voitures car elles sont réputées pour leur solidité et leur excellente suspension.

… sur votre droite, un petit khmer amputé des DEUX bras, sur votre gauche…

L’accès aux camps de réfugiés était très réglementé ; il fallait montrer patte blanche pour pouvoir obtenir de l’armée thaïlandaise – ou plutôt la force paramilitaire thaïlandaise spécialement assignée aux camps, la Task Force 80, et plus tard, la DPPU -  le moindre laissez-passer. Pour pénétrer dans les camps bien sûr, mais aussi pour y introduire le moindre objet. Par exemple, le laissez-passer le plus difficile à obtenir était le  laissez-passer pour appareil photo ou caméra. 
C’est donc avec une grande surprise et une égale émotion que nous vîmes un jour arriver dans le camp de Site 2 un car, puis deux, puis tout un convoi d’une demi-douzaine de cars de luxe, remplis de riches touristes thaïlandais, pénétrer et circuler dans le camp ! Nous autres, travailleurs humanitaires, n’en croyions pas nos yeux ! Nous n’avions même pas le droit de prendre de photos des camps dans lesquels nous œuvrions depuis des mois, voire des années, et voici que soudain des touristes débarquaient, et depuis les fenêtres de leurs cars climatisés mitraillaient les lieux de leurs appareils! Et pas qu'une seule fois; le manège reprenait régulièrement, environ tous les 3-4 mois. Les cars – dûment autorisés par l’armée thaïlandaise, escortés d’automitrailleuses et autres voitures de la police nationale – entraient doucement dans les camps, et en faisaient très lentement le tour en empruntant les grands axes latérités. Puis ils en ressortaient et s’en allaient comme ils étaient venus. Mais… – diront certains – mais, c’est comme faire visiter un zoo ! C’est le parc de Thouary ! Non, pas du tout, dans un zoo, les gens jettent des cacahuètes, tandis qu’ici ce sont des bonbons que les touristes jetaient par les fenêtres. Sans doute parce que les fleurs c’est périssable. 
Parfois, le tour opérator – pour épicer un peu l’aventure – prévoyait même une halte dans le camp ; alors là, les touristes descendaient du car sous leurs ombrelles et pour se rafraîchir un peu, engloutissaient quelques Coca Cola bien frais, avec glaçons ; le tout bien sûr sous le regard ahuri d’une population réfugiée en sueur pour qui le moindre litre d’eau était rationné.
 
Incroyable? Exagéré ?  Non, juste une "tranche de vie" dans un camp de réfugiés… 

Période Camp Officer, Site 2, 1987-1992, frontière khméro-thaïlandaise