Petite réflexion sur le "mérite" de l'agent humanitaire.

Mérite:
Étymologie : du latin meritum, gain, salaire, ce dont on est digne.
"Le mérite est ce qui rend une personne digne d'estime, d'éloge, de considération ou de récompense au regard de sa conduite ou des obstacles surmontés."

Tout agent humanitaire un jour ou l'autre s'entend dire "j'admire ce que vous faites, vous avez du mérite!" J'avoue avoir toujours éprouvé un certain malaise à l'écoute de cette phrase, sans trop savoir pourquoi; jusqu'à ce que je me mette à en chercher un peu plus la cause. Il importait en effet que je comprenne d'abord qui sont les "méritants"? Et qu'est ce qu'avoir du mérite?

Je me souviens que dans ma petite enfance, alors que je vivais encore dans mon petit village du Vexin, nous avions tous les ans la traditionnelle retraite aux flambeaux suivie de la cérémonie aux monuments aux morts, au cours de laquelle les anciens poilus encore en vie étaient honorés et parfois re-médaillés par Monsieur le Maire. Naturellement, si ces poilus avaient agi en héros et sauvé sous les balles un camarade blessé, je comprenais très bien la récompense et cette reconnaissance, mais si leur seul mérite avait été d'avoir survécu à cet enfer des tranchées, alors qu'il ne leur en avait pas été donné le choix, je ne voyais pas trop où était le mérite (voir exemple). Ne savaient-ils pas de toute façon que si ils désertaient ils seraient fusillés? Avec tout le respect que j'avais pour ces vieux combattants qui avaient tant souffert, je ne voyais néanmoins pas où était le mérite de faire ce qui leur était ordonné de faire manu militari. Le mérite ne pouvait donc pas être là.

Poursuivant la réflexion, et visitant la question sous l'angle inverse, je pensais à ces alpinistes qui bien que cette fois sans aucune contrainte souffrent beaucoup en grimpant les plus hauts sommets. Mais, là aussi, je ne trouvais pas le mérite; désir d'exploit, de gloire, de réalisation de soi? Autant de raisons qui ne me semblaient pas compatible avec l'idée du mérite que je chérissais. Quel mérite a-t-on en effet de faire ce qu'on a sciemment choisit de faire? Y-a-t-il du mérite à faire ce qu'on veut, combien pénible le chemin pour l'obtenir?

J'en arrivais donc à la conclusion que si le mérite n'était à trouver ni chez celui ou celle qui agit contraint par la force (manu militari), ni chez celui ou celle qui fait ce qu'il a sciemment et volontairement choisi de faire, le mérite devait donc être plutôt chez celui ou celle qui fait le bien contre sa propre volonté et en l'absence de toute force. De quoi s'agit-il alors? Mon humble réponse, à ce jour, est qu'il doit s'agir de celui ou celle qui agit par devoir moral. Et j'en suis encore là aujourd'hui...

C'est donc, par exemple, la maman qui sort en plein hiver pour aller chercher à manger à ses enfants, avec nulle arme dans le dos, ni nul désir de se jeter dans le froid, mais simplement un devoir ressenti de pourvoir aux besoins de ses enfants.

Alors, où se trouve le mérite de l'agent humanitaire que je suis, qui a sciemment choisi d'embrasser une carrière humanitaire? Les difficultés, les souffrances endurées au cours des missions ne changent rien au fait que ces dernières ont été sciemment voulues et acceptées. Rien ne m'empêche de mettre un terme à cette carrière et en entreprendre une autre.

Est-ce à dire que les agents humanitaires n'ont aucun mérite? Non bien sûr, mais pas plus ni moins que tout homme ou toute femme. Car le mérite ne se mesure pas aux actions entreprises mais tout simplement par ces petits choix, insidieux, pris au quotidien. Je me souviens de cette fois où, alors inspecteur des droits de l'homme des Nations Unies, je rentrai un soir tout à fait exténué par une journée difficile, que je montai dans ma voiture et alors que je m'apprêtai à claquer la porte, une vieille femme accourut avec des gestes de supplication - ces mêmes gestes que j'avais vu toute la journée… j'ai réalisé alors que la frontière entre le mérite et le démérite ne résidait qu'en ces quelques secondes où on décide de dire "plus tard, c'est fini pour aujourd'hui!" ou bien "venez, passons dans mon bureau..."     

En ce sens celui où celle qui décide de répondre par un sourire bienveillant  à l'employé des Postes qui l'enguirlande de ne pas avoir rempli le formulaire comme il le faut, a pour moi plus de mérite que l'agent humanitaire qui va chercher un blessé sur un champ de mine en prenant exhaltation dans l'action.   

Pour moi, un jeune des "quartiers difficiles" en France qui a trimé toute son enfance pour bien travailler à l'école et qui, à la force du poignet, a décroché ses diplômes, se voit refuser un emploi à cause de son nom pas-trop-français, et réagit sans haine ni violence a beaucoup plus de mérite que tous ces agents humanitaires volontaires que nous sommes!

8 commentaires:

  1. J'aime beaucoup votre texte sur le mérite.
    Pour compléter, je dirais qu'on a souvent tendance à accorder du mérite à toute personne qui mène une action qu'on n'ose pas ou qu'on ne peut pas accomplir.
    Les motivations à nos actions sont multiples (amour, besoin de reconnaissance, peur, besoin d'évasion...) et évoluent en permanence.
    A propos, je pense que la mère qui sort dans le froid pour aller chercher à manger à ses enfants agit autant par amour que par devoir.
    Le mérite, c'est peut être oser se dépasser ?

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  2. Merci beaucoup "Anonyme" de votre visite et de ce commentaire sympa et interessant. Le dépassement de ses limites, aller au-dela de nos contingences, oui sans doute aussi.

    A bientôt j'espère.
    - Stéphane

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  3. Merci pour ce texte Stéphane, qui apporte un éclairage sur certaines questions personnelles. Je rejoindrais assez "Anonyme": la notion de mérite n'engage que la personne qui a la gentillesse de nous en trouver, nos actions sont vues à travers le filtre de son vécu et aussi de ses fantasmes. Malgré cela, le malaise peut quand même persister... Malaise synonyme de refus, du compliment dans ce cas précis? Pour ma part je pense que là se pose la question de nos propres ombres, donc du pourquoi de nos choix.
    Arnaud

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  4. Merci Arnaud. J'adhère tout à fait à ce commentaire. Il est bon en effet de sans cesse s'interroger sur nos motivations, en toute humilité. Je crois que l’honnêteté intellectuelle (dans le sens ici d'une introspection sans orgueil ni fausse modestie) est une des plus grande vertu qui soit, car elle suppose abnégation, courage, et désir de s'améliorer toujours. Le mérite en effet relève plus du regarde l'autre.

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  5. de ceukelaire ann23 juillet 2011 à 00:05

    ce que nous faisions en qualité d'humanitaire n'était pas méritant, nos engagements concernait d'abord nos propres besoin de réalisation de soi.le méritant est pour moi celui qui va puiser dans ses réserves dans un but d'offrir bonheur à lui et autour de lui, le devoir moral me semble un poids qu'on porte et qui n'est pas toujours associé à du bonheur. Merci toujours de ces instants de bonheur que me procurent la lecture de tes articles. mais je peine encore à naviguer dans ton blog...

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  6. Dank u zeer, mijn lieve Ann, de cette contribution. Je suis désolé que la navigation du blog te soit si pénible, j'espère qu'elle ne te donne quand même pas le mal de mer... :)
    Bises et à bientôt j'espère
    -Stéphane

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  7. Que cela fait du bien d'entendre des gens parler avec leur âme... C'est profond et bien écrit

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