28 nov. 2010

Bernard Kouchner… c'est ce convoi.

J'étais là, jeune officier onusien, seul au beau milieu de la route à attendre un des ces nombreux convois officiels qui venaient visiter le camp de Site 2 sur la frontière khméro-thaïlandaise. Ce jour-là, il s'agissait de la visite du ministre français des affaires humanitaires Bernard Kouchner, accompagné de l'ambassadeur de France. C'était bien la première fois que l'on voyait l'ambassadeur de France dans les parages alors que les ambassadeurs belge et américain, par exemple, y venaient régulièrement soutenir leurs "troupes humanitaires". [Voir plus tard le billet sur le "soutien" de l'ambassade de France de Bangkok aux humanitaires français et aux réfugiés de la frontière].
Le convoi devait arriver d'un moment à l'autre. Seulement voila, les bombardements de l'autre côté de la frontière, à quelques centaines de mètres seulement, se faisaient bien entendre ce matin-là. J'avais alors pour instruction de stopper le convoi lorsque celui-ci arriverait, jusqu'à ce que ce que je reçoive le feu vert d'Andy, mon collègue américain, coordinateur de la sécurité du camp.

Dr Bernard Kouchner
(Photo AFP)
Le convoi arriva, un énorme convoi, beaucoup plus grand et impressionnant que je ne l'attendais: ouvert par une voiture de la police nationale thaïlandaise aux gyrophares tournoyant, suivis de command cars militaires avec moult officiers supérieurs, puis les Mercedes noires des visiteurs VIP, puis des ambulances et encore d'autres voitures militaires et autres camions chargés de soldats armés. Et me voici donc debout au milieu de la rue à stopper un tel convoi! Celui-ci s'arrête. Un officier de police thaïlandais descend de sa voiture et vient m'interroger. Je l'informe de la situation, et il retourne aussitôt dans sa voiture climatisée pour attendre. Au bout de quelques minutes, Bernard Kouchner descend de sa voiture et vient me rejoindre. Nous sommes tous les deux sur cette petite route de campagne thaïlandaise à converser devant le convoi. Il est sympa; il est surpris de trouver un jeune français en ce lieu et dans ces fonctions et m'interroge; je lui parle de ma formation Bioforce; il  me dit très bien la connaître, etc.
J'apprécie l'échange mais je m'inquiète, me demandant combien de temps cela allait durer. Le soleil tape dur et on ne peut pas faire attendre un tel convoi trop longtemps. Les impératifs sécuritaires sont certes prioritaires, mais la diplomatie a aussi ses exigences. Et je ne suis pas des plus à l'aise. Je rappelle nerveusement Andy pour m'enquérir de la situation, et cette fois j'obtiens le "green light". Le ministre me salue alors amicalement avec quelques encouragements, et remonte dans sa voiture. Le convoi se remet en branle et je le guide lentement sur la piste jusqu'à l'entrée du camp, puis passe la main aux autorités Thaïlandaises et Cambodgiennes du camp.

Le reste de la visite, je restai en marge simplement pour suivre et m'assurer que tout se passât bien. Le ministre tint une petite réunion avec les administrateurs Cambodgiens sur la situation humanitaire de la frontière, puis il passa au camp de Dong Rek pour une conversation avec son administrateur, Monsieur Keo Lundi. Ce dernier, un ancien ingénieur formé en France, reste très francophone et francophile. Il a même établi dans son camp une excellente école technique pour assurer la formation professionnelle, notamment en électricité et mécanique, des jeunes réfugiés sous son administration. Mr Lundi voudrait que le ministre l'aide pour que la France puisse lui acheminer des moteurs français (Renault, Peugeot, Citroën)- même vieux! - pour les cours de pratique. Enfin, jouant son dernier atout, il souligne aussi le fait qu'étant très francophile il a insisté pour que tous les élèves de ses écoles techniques reçoivent aussi une formation en français. Bernard Kouchner est impressionné. La délégation passe alors à la visite de l'école technique. Le ministre s'introduit dans une des classes ou les élèves attendent nerveusement le VIP; il s'adresse alors au premier élève qui se présente à lui: "Alors comme ça on apprend le français?" et l'élève de se lever au garde à vous et de répondre très fièrement:"Yes, Sir!".

Période UNBRO, Site 2, 1985-1992    

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