30 mai 2010

Le petit "truc" du secouriste de campagne qui en dit plus long qu'on ne le croit…

Lorsque je préparais mon brevet de secouriste, il y a quelque 30 ans, notre instructeur nous avait dit cette chose qui m'avait marqué: "lorsque vous arrivez sur un accident, ne vous précipitez pas vers le blessé qui crie le plus fort; si il crie, c'est qu'il a encore de l'énergie a revendre, ceux qui ont le besoin le plus urgent de vous, ce sont ceux que vous n'entendez pas, qui sont probablement inconscients et sont peut-être en train de glisser vers la mort. Trouvez les, et occupez vous d'eux d'abord!"

Cette phrase m'est revenue à propos lorsque je tentais de tirer des leçons d'expériences humanitaires plus larges: elle contient en effet plus d'enseignement et de sagesse qu'il n'en parait au premier abord. En missions humanitaires, nous sommes en effet souvent assaillis par les appels au secours, voire tout simplement les demandes d'aides en tous genres, et la tentation est grande d'y répondre en commençant par celui ou celle qui crie le plus fort ou insiste le plus… ou simplement sait le mieux comment accéder aux aides: ceux qui sont proches des agents humanitaires, qui parlent l'anglais (et peuvent donc mieux communiquer avec les étrangers), etc. Or, la réalité est telle, que le plus souvent, ceux qui sont le plus dans le besoin sont précisément ceux qui ne viennent pas à nous. C'est donc à nous de les trouver.

Ainsi ces programmes alimentaires des agences humanitaires dans les écoles pour lutter contre la malnutrition sont-ils bien sûr les bienvenus; mais il ne faudra pas oublier que les enfants les plus nécessiteux sont précisément ceux qui ne peuvent même pas venir à l'école: handicapés, petites filles gardées à la maisons pour les tâches ménagères, enfants exploités dans les usines, etc. Ainsi aussi ces programmes de "participation communautaire" où les humanitaires réunissent les habitants des villages pour discuter en longueur de leur besoins, pour leur santé, pour leur développement, pour leurs micro-crédits, etc; mais les plus nécessiteux, ceux que l'on prétend souvent vouloir aider en priorité, sont précisément ceux qui ne peuvent participer à ces réunions, trop occupés qu'ils sont à d'abord chercher à manger pour la journée. Ils ne peuvent tout simplement pas se permettre de perdre une demi-journée à converser avec des ONG sur leurs besoins…

Ainsi, de même que les secouristes doivent être capables de reconnaître ceux des blessés qui nécessitent les soins les plus urgents, les agents humanitaires se doivent aussi de posséder pour compétence première celle de savoir identifier les communautés qui sont le plus dans le besoin, et les atteindre. Aujourd'hui, et ce depuis les années 80, les ONG affirment s'être "professionnalisées"; certes elles se gèrent dorénavant comme des entreprises, avec campagnes de marketing préalables et recrutement de techniciens spécialisés. Mais ce qui devrait être la réelle marque de leur professionnalisme c'est cette capacité à évaluer les besoins des populations, à identifier les plus nécessiteux, et la maîtrise de techniques pour les atteindre.
Parce que les souffrances les plus grandes sont indicibles, et donc silencieuses.

3 commentaires:

  1. Merci pour cette tres fine et pertinente analyse,Stephane. Par ailleurs, apres ta visite-surprise (et quelle bonne surprise !) de ce matin j'ai parcouru ton blog et je pense que toutes ces experiences meritent effectivement d'etre rassemblees dans un livre !

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    2. Merci de ce retour sympa. Dommage que je ne sache pas de qui ça vient... :)

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