30 juil. 2011

Puisque l’humanitaire est un combat…

L’humanitaire, bien sûr, est un combat: contre la mort, la souffrance, la misère, la corruption, etc., mais aussi et surtout contre la bêtise, l’orgueil, le cynisme et toutes les désillusions qui ne manquent jamais d’émailler le parcours.

Jean-Baptiste, un de mes neveux avec qui j’ai beaucoup d’affinités, me demandait récemment «-As-tu jamais utilisé ton judo dans tes missions humanitaires?». La question pourrait paraître incongrue, mais elle ne l’était pas de sa part puisqu’il savait que j’avais régulièrement été confronté à des situations "assez chaudes" lors de mes missions.  Ma première réponse fut «-non». Non, parce que je n’ai jamais utilisé mes techniques de judo dans mon travail. Certes ce n’est pas l’envie qui m’aura manqué parfois de faire un bel ude-hishigi-ude-gatame (armblock) à l’homme corrompu qui tend le bras pour ce mettre l’argent de l’aide dans la poche, ou effectuer un petit shime-waza (étranglement) à ce politicien dont le discours pousse à toujours plus de haine et de violence, ou encore de mettre à terre celui qui accourt sur la misère du monde pour se faire un nom. Mais ça ne se passe pas comme ça dans la vraie vie…


Et puis le judo m’avait apporté l’assurance dont j’avais besoin pour régler des situations tendues de la manière – justement - la plus non-violente possible. Le simple fait d’avoir conscience de pouvoir recourir aux techniques "au cas où" me donnait en effet le courage suffisant pour aller de l’avant. Assurance pourtant bien illusoire, puisque "rouillé" comme je l’étais, il y a fort à croire que si j’avais eu à recourir à mes techniques, je n’aurais sans doute réussi qu’a me déplacer deux-trois vertèbres et me froisser quelques muscles en un rien de temps. 
 
C’est ainsi que j’ai découvert très vite que le sourire et les paroles calmes constituaient en réalité le moyen le plus efficace pour désamorcer les tensions les plus à-mêmes de dégénérer en violence. Un "sourire et des paroles calmes" qui – je m’empresse de le préciser - ne doivent en aucun cas constituer une "technique" à proprement parler mais bien plutôt le reflet véritable d’une attitude sincère de bienveillance; nulle hypocrisie ni autre forme d’abus de confiance ici. 

Et puis le Judo, "voie de la souplesse" par son étymologie, est aussi une bonne école de diplomatie et de respect de l’adversaire : tel le roseau qui ploie, se dégage de sa charge de neige et se redresse, le judoka fait l’expérience de cette nécessaire flexibilité dont l’humanitaire doit aussi toujours savoir faire preuve. Dans l’humanitaire, la rigidité (rigidité des règlements, des égos, des structures, des habitudes, des institutions, etc.), c’est la mort ; la sienne et celle de ceux que l’on comptait sauver.

Alors, après tout, j’aurais tout aussi bien pu répondre «-oui » à la question de mon neveu. Car si je n’ai jamais utilisé les techniques de judo dans mon travail, j’en ai en revanche beaucoup pratiqué l’esprit dans mes missions. La devise enseignée par Jigoro Kano, le fondateur du judo, n’était-elle celle de du Jita Kyoei, "Entraide (ou respect) et Prospérité mutuelle"? Une devise au message puissant si l’on croit à tort que l’humanitaire vient unilatéralement sauver le monde ; très tôt le judo m’aura ainsi accoutumé à l’idée que tout mouvement en provoque un autre, que "donner et recevoir" ne font partie que d’une seule et même dynamique, et que celle-ci va toujours dans les deux sens. 

Est-ce a dire que je préconise la pratique d’un art martial pour se préparer à l’humanitaire?  Oui, pourquoi pas? Pour la condition physique bien sûr, mais surtout pour l’esprit qu’il instille. Le judo a toutefois ses limites: d’une part, c’est un sport qui fait appel à un effort très violent mais court, alors que l’humanitaire requiert surtout de l’endurance et de la résistance ; d’autre part, c’est un sport individuel alors que l’humanitaire est d’abord et avant tout un travail d’équipe. En fait, n’importe quel sport pratiqué en compétition fera l’affaire, car la compétition accoutume au stress, à agir "vite et bien" sous le regard tendu des autres, à connaître les jambes en coton avant de se jeter dans l’action, etc. D’ailleurs, quel plus beau parallèle peut-il y avoir que celui de l’équipe de mission humanitaire avec l’équipe de sportifs en compétition? Pour l’une comme pour l’autre, la pression est là, et "le capitaine" se doit de vite pardonner les fautes – individuelles ou collectives – pour sans cesse remotiver son équipe et poursuivre l’effort jusqu’à la victoire/le succès. Même si dans l’humanitaire, quand on "gagne", ce n’est pas une coupe qu’on emporte, mais des sourires plein la mémoire et une joie sereine. [Quand on perd, en revanche, ça se compte parfois en vies humaines, et ce n’est alors pas seulement une grosse déception, mais des cauchemars pour bien longtemps…]


Épilogue
Couverture d'un des albums de Dr Justice
Lorsque j’étais petit, mon héros de bande dessinée préféré était Dr Justice; Dr. Benjamin Justice, ce médecin de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), qui était ceinture noire à la fois de judo et de karaté, et qui voyageait de par le monde pour participer à des missions humanitaires ou autres conférences internationales. Il lui arrivait toujours plein d’aventures dans lesquelles il devait recourir à ses techniques d’arts martiaux pour se tirer d’affaire ou encore sauver des malheureux aux prises avec quelques "méchants". 
Un jour à Manille, alors que je prenais mes fonctions à l’OMS, je réalisai soudain que je n’avais jamais été aussi près du profil de mon héros : bon, je n’étais pas ceinture noire de karaté, mais j’étais quand même ceinture noire de judo, je n’étais peut-être pas médecin, mais j’avais fait aussi la fac de médecine (étudiant psychomotricien), et comme lui je travaillais dorénavant à l’OMS pour qui je voyageais de  par le monde…  [En revanche, je ne me faisais jamais attaquer pendant mes missions OMS, si ce n’est par les moustiques!]

Lorsque je constatai qu’à la quarantaine avancée, je n’étais, somme toute, pas si loin du héros de BD de mon enfance, je ne pus réprimer un petit sourire. Heureusement que je n’avais jamais eu pour héros un personnage de Reiser!


Période OMS, Manille, Philippines.

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