25 déc. 2010

On a tout compris!


Ce poster ci-dessus, on peut le trouver dans de nombreux pays de l’Asie du Sud-est - Thaïlande, Laos, Cambodge, Vietnam, Philippines, etc. - Il tente d’éduquer les populations, au niveau d’instruction limité, au danger du paludisme, ou encore de la dengue, en identifiant clairement le responsable : le moustique ! Qu’il s’agisse d’un anophèle pour le paludisme ou d'un aedès pour la dengue, le poster présente alors le moustique - en gros pour accentuer le message - en train de sucer le sang sur un bras.
Un jour, alors qu’un de nos agents de santé dans un village reculé du Laos faisait consciencieusement sa séance d’éducation à la prévention contre le paludisme, à l’aide de ce poster, qu’il suivit des recommandations d’usage : dormir sous les moustiquaires, etc., un villageois vint à lui et lui dit sur un ton rassurant : « Ne vous inquiétez pas pour nous, Monsieur, ici, des moustiques de cette taille, il n’y en a pas! »
--
Chez la plupart des ethnies vivant dans les régions reculées de l’Asie du Sud-est – forêts et montagnes notamment - l’animisme fait partie intégrante de la culture et de la vie quotidienne, et tout  y est interprété selon sa logique : ainsi le paludisme, pour beaucoup de ces ethnies, est du aux mauvais esprits de la forêt.
Un jour qu’un de nos agents de santé venait faire une séance d’éducation à la prévention du paludisme dans une de ces tribus, il se heurta à l’incrédulité des autochtones lorsqu’il commença à expliquer que le paludisme était causé par la piqûre d’un moustique infecté… jusqu’au moment où un des villageois eût tout comprit: « ben, oui… ce sont les mauvais esprits qui envoient ces  méchants moustiques! »

Comme quoi modernité et tradition peuvent parfois faire bon ménage! 

Période OMS, Philippines, 2003-2006 et période Union Européenne, Laos, 2000-2003. 

12 déc. 2010

Bioforce: la case "Départ"… (Partie I)

Le logo de BIOFORCE en 1984
Comment et pourquoi ai-je embrassé cette carrière humanitaire? Curieusement, je me souviens très bien des détails du petit événement déclencheur: c'était en 1983, j'étais alors à la fac de médecine de la Pitié-Salpêtrière (étudiant–psychomotricien), je sortais de l'amphithéâtre en compagnie de mon vieux copain Joël J.  et nous nous dirigions vers le Restau U. Joël me dit: "- Dis, t'as entendu parler de cette école de l'humanitaire qui vient d'ouvrir à Lyon où tu fais du parachute, du 4x4, de la moto et où tu apprends à mettre en place des missions de par le monde…" Je n'en croyais pas mes oreilles, et je regardai Joël médusé, il poursuivit: " -…c'est une formation en 3 ans, au cours de laquelle tu es payé, et tu ne fais qu'un an à Lyon, le reste tu dois déjà le faire sur le terrain pour obtenir ton diplôme… " Cette fois, c'en était trop, tout ce dont je rêvais en un: combiner aventure, voyages et altruisme! Certes, les études de psychomotricien étaient tout à fait passionnantes à bien des égards, mais je n'arrivais pas à m'imaginer un seul instant coincé dans un Centre Médico-Psychopédagogique sitôt mon diplôme obtenu, j'avais un besoin énorme de sortir de Paris et surtout de sa banlieue!

11 déc. 2010

On ne sait jamais ni le mal ni le bien que l'on fait (partie I)

Ek Sinath était un jeune réfugié cambodgien, d'une vingtaine d'années, plein d'enthousiasme et volontaire, que j'avais recruté comme assistant-interprète dans le camp de Site 2. Un peu timide mais sérieux dans son travail, il était d'une personnalité agréable et toujours prompt à apprendre. Un jour il vint à moi avec une requête spéciale: il voulait que je lui fasse une carte d'identité attestant qu'il travaillait bien sous mes ordres et pour le compte des Nations Unies, afin de faciliter les démarches que je lui demandais auprès des administrateurs du camps. Sa demande était tout à fait légitime et dès le soir je m'attelai à la tâche, tapant à la machine sur un carton jaune – pas d'ordinateur à cette époque! -  une petite carte d'identité, avec un en-tête de l'Opération des Nations Unies, son nom, sa date de naissance, sa position, la date de validité de la carte, etc. j'y accolai sa photo et signai en bas de carte de mon nom et de ma fonction. Le lendemain matin je la fis laminer dans une petite boutique de photo d'Aranyaprathet puis la remis à Sinath. Celui-ci fut très heureux de recevoir sa carte, et m'assura par la suite qu'elle lui facilitait beaucoup son travail.

Et puis, quelques semaines plus tard, un lundi matin, plus de Sinath. J'attendis 1, 2, 3 jours, rien; une semaine, un mois, toujours pas de signe de vie. J'avais beau le chercher partout, il avait totalement disparu et personne ne savait ce qu'il était advenu de mon jeune assistant. J'étais à la fois surpris et inquiet, mais finalement il me fallut me rendre à l'évidence, qu'il ne reviendrait pas, et je recrutai un autre assistant pour le remplacer.

Un an plus tard, toujours dans le camp de Site 2, je vis venir à moi, un jeune homme très maigre, au visage triste: Sinath!  Il tentait bien de sourire, mais il y avait quelque chose de cassé en lui. Il était méconnaissable: Lorsqu'il me raconta son histoire, je n'en crus pas mes oreilles: Le fameux weekend où il avait disparu, il y avait donc une année de cela, il avait voulu rendre visite à sa grand-mère au Cambodge. Comme le font beaucoup de réfugiés sur cette frontière poreuse, il était sorti du camp et rentré au Cambodge. Sa grand-mère habitant loin dans les terres, il s'enquit de prendre le train. Dans le train, contrôle d'identité: Sinath n'a pas de papiers, si ce n'est la petite carte que je lui avait faite. Il l'a montre. Elle est en anglais, voila qui est bien suspect pour les policiers cambodgiens du régime de l'époque. Sinath est aussitôt débarqué du train et emmené au poste de police, où il est interrogé durement. Nous sommes en pleine guerre et l'espionite aigue sévit des deux côtés du conflit. Les policiers qui scrutent la carte de Sinath sont convaincus que Sinath est un espion, comme la carte a un en-tête des Nations Unies, c'est un espion des Nations Unies, et comme son chef est un français, c'est un espion à la solde de La France. Tout cela pourrait faire sourire si les choses n'avaient été plus loin. Mais ce ne fut pas le cas, et sur ces simples présomptions – ou présomptions simplistes! - Sinath fut arrêté et envoyé à Phnom Penh dans la pire prison de la capitale; la tristement célèbre T3. Là - après un jugement expéditif où il sera condamné sans aucune preuve - il sera enchaîné et gardé dans des conditions de détention terribles pendant… un an! Simplement parce qu'il était en possession d'une carte d'identité que les autorités ne comprenaient pas!
Jamais, ô grand jamais, je n'aurais pu imaginer un seul instant que la petite carte d'identité que j'avais confectionnée à Sinath eût pu lui causer des problèmes, et encore moins autant de souffrances! C'est ainsi, on croit parfois bien faire, mais le destin en décide autrement.

___
Épilogue: Un an plus tard, alors que j'avais quitté la frontière et prenais alors mes fonctions pour la composante des Droits de l'Homme de l'APRONUC, j’aperçus parmi le personnel cambodgien du bureau quelqu'un que je crus reconnaître: "- Sinath!" m'écriai-je. Sinath se retourna, et sembla heureux de me revoir, mais il me prit aussitôt à part, et me dit tout bas "Monsieur, je ne m'appelle plus Sinath, j'ai changé de nom, s'il vous plaît, ne m'appelez plus Sinath…" Il avait fait comme beaucoup de cambodgiens qui veulent se soulager d'un passé trop lourd à survivre: changer de nom. Je respectai bien sûr son vœu et le laissai à la construction de sa nouvelle vie.   
 
Période UNBRO – Camp Officer – Site 2, 1987-88.

10 déc. 2010

Ces petits gestes de rien du tout …qui tuent.

Un jour, à Siem Reap, que Christophe P., son assistant Mr K. et moi étions en train d'interviewer une victime de violation de droits de l'Homme, un homme vint à nous, tout essoufflé, nous avertir que des soldats du CPAF [1] avaient fait irruption dans un quartier de Wat Bo, majoritairement habité par des sympathisants du FUNCINPEC (le principal parti d'opposition) et qu'ils en menaçaient les occupants. Je saisis mon talkie-walkie et informai la police civile des Nations Unies - la CivPol – les priant d'envoyer une patrouille sur le champ.
Nous reprîmes alors l'interview. Mais quelque quinze minutes plus tard l'homme qui nous avait averti revint, cette fois tout à fait affolé, qui nous supplia d'intervenir. Christophe et moi étions perplexes: "- Comment ça? La CivPol n'est pas encore intervenue?" Il nous fit signe que non. Je rappelai aussitôt la CivPol et leur demandai pourquoi ils n'étaient pas déjà sur les lieux; l'officier de permanence me répondit par un "- nous voudrions plus de détails sur la situation avant.". J'étais tellement furieux que je lâchai "- et vous ne voulez pas un rapport écrit en trois exemplaires aussi avant d'intervenir?" et raccrochai aussi sec [2].
Face à cette absence flagrante de volonté d'intervenir de ces officiers CivPol [3], Christophe et moi décidâmes d'aller nous-même sur place voir ce qu'il se passait. Nous primes ma voiture et filâmes sur le lieu rapporté de l'incident aux alentours de la pagode Bo. Lorsque nous arrivâmes, tout semblait pourtant parfaitement calme: seule une femme était là, debout à l'entrée du village, immobile et nous fixant du regard. En m'approchant d'elle je remarquai qu'elle tremblait de tous ses membres et qu'elle avait les yeux remplis d'effroi.