"-Et
pourquoi ne viendriez-vous pas visiter l'université? Venez mercredi, j'enverrai le chauffeur vous
prendre à votre hôtel à 9:00 heures, ça vous va?"
J'avais accepté avec plaisir l'invitation du
Professeur Oum Sophal à venir visiter son université. D'une part parce que
l'université des sciences de la santé du Cambodge est un lieu intéressant, mais aussi parce que l'amitié
du professeur m'était chère. Nous nous connaissions depuis déjà plus d'une
dizaine d'années, et la relation qui s'était instauré entre nous dépassait les solennités
d'usage.
Lorsqu'il avait
appris que j'étais de passage à Phnom Penh, il m'avait aussitôt appelé, et arrangé
très gentiment un dîner au cours duquel ce francophile et francophone qu'il
était pouvait encore pratiquer son français dans autant de discussions intéressantes.
C'est lors de ce
diner qu'il me fit très amicalement cette invitation à passer le voir plus tard
dans la semaine. Au jour dit, j'enfilai un jeans et une chemisette, chaussai
mes baskets, et son chauffeur vint me
prendre à mon hôtel comme convenu. Nous filâmes sur l'université, et alors que
nous approchions du bâtiment et je que commençai à apercevoir des silhouettes… je
fus pris d'un certain malaise à la vue de la scène vers laquelle nous avancions:
le professeur m'attendait sur le perron,
entouré de tout un aréopage de cadres de l'université, tous habillés on-ne-peut-plus officiellement de leurs plus
beaux costumes-cravates. Je réalisai soudain que le professeur m'avait sans
aucun doute invité ce jour-là bien moins en tant qu'ami qu'en tant que
titulaire des fonctions que j'occupais alors[1].
Grave erreur de jugement de ma part!
Je descendis lentement
et quelque peu hésitant de la voiture, et gravis les marches du perron comme un
chien qu'on appelle pour prendre sa raclée. Dès que je posai le pied sur le
perron, le professeur vint me serrer la main avec un sourire quelque peu embarrassé,
un regard discret sur ma tenue. Je m'empressai de lui glisser à l'oreille
"-écoutez, je crois que je n'ai pas bien compris la nature de cette visite;
est-ce que vous permettez que votre chauffeur me ramène tout de suite à l'hôtel
pour que je puisse me changer?". Il me répondit avec un petit rire gêné et
sur un ton peu convaincant "-non, non, ce n'est pas grave…".
J'insistai, et il accepta aussitôt. Je tournai les talons illico, descendis les
marches quatre à quatre, sautai dans la voiture et filai sur l'hôtel. Là, en un
temps record j'enfilai mon costume, nouai ma plus belle cravate, chaussai mes
chaussures de ville, et courus remonter dans la voiture qui me ramena sur le
champ à l'université. Le comité de réception m'attendait toujours debout et au grand
complet. Je fis donc un remake de la scène -- cette fois dans sa version
"sans embarras" - gravissant maintenant les marches un sourire aux
lèvres. Arrivé sur le perron, le professeur joua le jeu, et dans un éclat de
rire beaucoup plus léger, vint me re-serrer la main, me re-souhaitant la
bienvenue et me présentant alors tous les cadres présents.
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Ce jour-là, avec le Prof. Oum Sophal APRÈS m'être changé... |
Le reste de la visite fut TRÈS officiel: passant d'une faculté à l'autre, entrant dans les amphithéâtres en plein cours où l'on me tendait le micro pour dire quelques mots aux étudiants, le tout couronnée d'une cérémonie en grande pompe où le professeur et moi signâmes un contrat de financement de recherche (que nous avions préparé plusieurs semaines auparavant), etc. Avec tout ce cérémonial, je ne regrettais pas du tout de m'être changé pour faire honneur à mes hôtes… même si cet ajustement avait dû passer par une scène assez cocasse! Je pense que le personnel de l'université s'en rappelle encore…
Période Asian Development Bank, 2003-2010