25 août 2013

Sur mes gaffes et mes erreurs… Silence radio.

C'est trop facile de se faire mousser dans un blog. Trop facile de faire croire que mes missions ne furent qu'un long parcours tranquille couronné de succès. En vérité - et je n'en suis vraiment pas fier - mon parcours humanitaire fut aussi émaillé de gaffes, voire de fautes professionnelles. Chaque fois, j'ai appris de ces expériences, mais elles restent encore en ma mémoire comme autant de brûlures au fer rouge… 

1. Phnom Penh, Cambodge (1999): alors directeur d'un collectif d'une centaine d'ONG (MEDICAM), j'avais parmi mes prérogatives annuelles d'organiser une large consultation de ces mêmes organisations, dans le but de produire un papier officiel très attendu présentant "la position des ONG sur la réforme du système de santé au Cambodge".  Fier et jaloux de son indépendance, le conseil d'administration de MEDICAM voulait ce rapport analytique, direct et incisif. Une fois l’article rédigé et la revue rédactionnelle passée, le papier était largement diffusé et repris par les journaux nationaux, suscitant débats et discussions parmi les professionnels.
C'est lors d'un de ces exercices annuels que je commis cette sérieuse faute professionnelle que je ne suis pas prêt d'oublier. A peine l'article avait-il été publié que je reçus une lettre - incendiaire! - portant en en-tête pas moins de DEUX logos de grosses agences bilatérales actives au Cambodge: l'agence de coopération internationale australienne (AusAid) et l'agence de coopération internationale allemande (GTZ). Fait rarissime, la lettre était donc co-signée  par les deux directrices locales de ces agences; elles me critiquaient très vivement, s'interrogeant sur mes compétences en tant que directeur de ce grand collectif, et appelant à ma démission ou à mon renvoi sur le champ. J'étais terrorisé, abattu, cassé. Qu'avais-je donc fait?

Lors de ma consultation des ONG, j'avais à de nombreuses reprises entendu parler d'un manque de coordination entre les programmes d'aide menés par les agences bilatérales dans le pays. Les programmes de la GTZ et de l'AusAID, et leur duplication apparente m'étaient alors très souvent cités en exemple. J'avais donc souligné dans l'article le besoin pour les agences bilatérales de mieux coordonner leurs actions, et… - ô grave erreur! - j'avais ajouté entre parenthèses "(ex. AusAID et GTZ, etc.)". Je comprenais donc très bien aujourd'hui le courroux de ces deux agences -- toutes deux signataires de la Déclaration de Paris sur l'efficacité de l'aide -- que je pointais là du doigt, publiquement, sans même démontrer leur tort. J'étais clairement dans l'erreur et je ne m'en remettais pas. Dans l'instant, conscient de la gravité de ma faute, je présentai ma démission, mais le conseil d'administration refusa. Cet incident arrivant juste avant mon départ en vacances, il me gâcha complètement ces dernières, ruminant sans cesse ma faute et la réponse à y apporter. Dès mon retour, je m'attelai à la tâche: je décidai d'opter pour une lettre professionnelle, constructive, dénuée de tout ressentiment et émotions, espérant que cela apaiserait les esprits et favoriserait la réparation. Je commençai bien sûr par présenter mes excuses aux deux agences, leur expliquant que la mention du manque de coordination entre leurs deux agences, souligné si maladroitement dans mon article, était en fait l'expression de ce qui m'avait été rapporté par des sources diverses et nombreuses; je reconnaissais toutefois la faute grave qui était la mienne, d'avoir rapporté cet état de fait, sans en apporter la preuve. Enfin j'ajoutai que si tant d'ONG pensaient de la sorte, c'était sans aucun doute parce qu’elles étaient mal informées quant aux actions dans le pays de ces deux agences. J'enchainai alors sur le fait qu'à plusieurs reprises dans le passé, je les avais invitées, l'une et l'autre, à venir présenter leurs programmes lors de notre conférence mensuelle, mais que jusqu'à présent, ces invitations étaient restées sans réponse. Je finissais donc ma lettre en les invitant chaleureusement à venir présenter lors de notre prochaine conférence, afin de lever définitivement le doute quant à leur bonne coordination. Le ton de la lettre était donc professionnel et des plus conciliants.
A mon plus grand soulagement, la réponse des deux agences fut très positive. Et les deux directrices vinrent présenter leurs programmes respectifs à l’assemblée mensuelle suivante. Dès lors, non seulement l'incident était clos, mais les deux auteures de la lettre incendiaire appelant à ma démission, devinrent de très bonnes amies, avec lesquelles aujourd'hui encore je garde des liens très cordiaux*. Comble de bonheur, et démontrant le "happy end" de l'histoire, les deux agences adhérèrent à notre collectif en payant une  cotisation généreuse.
Il reste que j'ai appris de cette leçon: désormais, je ne publierai jamais plus -- ô grand jamais! - quoi que ce soit que je ne puisse clairement démontrer. CQFD.

2. Aranyaprathet, Thaïlande (1994): alors responsable du petit bureau frontalier du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), j'avais entre autres pour charge de surveiller la situation sécuritaire et humanitaire sur les quelques 824 kilomètres de la frontière khméro-thaïlandaise. Or, il advint un jour que la petite ville frontalière cambodgienne de Poi Pet fut attaquée par les Khmers Rouges, causant  plusieurs morts et détruisant plusieurs hôtels et maisons, ainsi que le marché local. Je conduisis mon investigation, interrogeant des témoins (en khmer et en thaïlandais) des deux côtés de la frontières, reconstituant les étapes de l'attaque et identifiant les différents protagonistes. L'enquête terminée, je rédigeai mon rapport. Or celui-ci contenait une information particulièrement sensible à l'époque: la démonstration que pour attaquer la ville de Poi Pet, les Khmers Rouges avaient emprunté une route sur le territoire thaïlandais. Pour le HCR, l'information n'était pas cruciale, puisqu'elle n’avait pas impliqué de mouvement de réfugiés ou de personnes déplacées; en revanche, cette preuve dérangeait terriblement le gouvernement thaïlandais de l'époque, qui niait bec et ongles apporter quelque soutien aux Khmers Rouges - position aujourd'hui intenable, compte tenu de toutes les évidences historiques allant dans ce sens.
Je devais envoyer rapidement ce rapport hautement confidentiel à mes deux bureaux de tutelle de Bangkok et de Phnom Penh, par courrier scellé (pas de email à l'époque). Or ce jour-là un journaliste français basé à Phnom Penh passa par mon bureau. Nous fîmes connaissance, sympathisâmes, et déjeunâmes ensemble. Quand vint le moment de nous quitter, il me demanda si je voulais profiter du fait qu'il retournait le soir-même sur Phnom Penh pour transmettre quoi que ce soit au bureau local du HCR. Jaugeant que via le courrier interne, il fallait compter environ une semaine pour que mon rapport urgent atteigne le bureau du HCR de Phnom Penh, je sautai sur l’occasion et lui confiai le document dans une enveloppe scellée, le remerciant du service. Grave erreur!  

Le lendemain matin, coup de téléphone de mon directeur à Bangkok: "-Stéphane, je vous rappelle que toutes les informations que vous collectez lors de vos investigations sont confidentielles et ne doivent en aucun cas être divulguées aux journalistes. Il semble pourtant que ce soit ce que vous avez fait, et vos informations font maintenant la Une des journaux au Cambodge et en Thaïlande! Le gouvernement thaïlandais est furieux! Je vous prie de remonter au siège sur le champ pour vous expliquer." Il m'envoya alors par fax les manchettes de journaux sur l'attaque de Poi Pet par les Khmers Rouges qui, selon une source onusienne à Aranyaprathet, seraient parvenu à leur fin en circulant en partie sur le territoire thaïlandais. J'étais horrifié. Pétrifié. Non seulement j'avais été cruellement trahi par ce journaliste, qui avait ouvert l'enveloppe, lu mon rapport, et en avait publié la teneur, mais en plus en citant une "source onusienne à Aranyaprathet", il m'identifiait clairement comme la source puisque j'étais le seul officier onusien dans cette petite ville frontalière. Je remontai donc sur le champ au siège des Nations Unies, où j'expliquai dans le détail à mon chef ce qu'il s'était passé, reconnaissant dûment mon imprudence et ma faute. Je m'attendais à me faire renvoyer sur le champ; mais il n'en fut rien; certes, mon directeur condamna sévèrement ma négligence, mais il me renouvela l'assurance de  son soutien aussitôt après.  
 
En attendant, n'en déplaise à mes bons amis journalistes, j’ai perdu confiance en ce corps de métier, et ne peux plus désormais interagir avec eux qu'avec la plus grande méfiance.       

3. Surin, Thaïlande (1992): l'heure et demie de pistes et de routes que je devais parcourir pour rentrer du camp d'O'trao était longue et fatigante. C'est à la fin d'un de ces trajets épuisants que l’incident se produisit: alors que je pénétrai dans le parking du bureau et que je me garai doucement, je vis l'énorme antenne radio de notre station s'incliner vers moi, d'abord doucement, puis à toute allure. J'eus tout juste le temps de me coucher sur le siège que la gigantesque tour s'écrasait dans un vacarme épouvantable sur ma voiture et deux autres véhicules garés derrière. Affolés, tous mes collègues sortirent du bureau et se précipitèrent sur le parking. Sortant de ma voiture et investiguant avec mes collègues, nous constatâmes avec effroi que le pare-choc avant de mon Landcruiser,  avait d'abord plié puis sectionné un des quatre câbles d'amarrage de notre énorme antenne radio HF/VHF - de quelque 20 mètres de hauteur! Un désastre! Cette radio était notre lien avec la coordination onusienne à Aranyaprathet et avec notre siège à Bangkok, l'un et l'autre à plusieurs centaines de kilomètres de là. C'était surtout l'instrument indispensable de notre système de sécurité en cette zone de guerre qu’étaient les camps de réfugiés où nous officiions. J’étais abasourdi, confus et au comble de la honte. C'est donc le cœur battant à tout rompre que j'entrai dans mon bureau pour appeler mon chef au téléphone et lui rapporter mon "effroyable bêtise". Voilà déjà plusieurs années que je travaillais pour les Nations Unies, je savais que j’étais bien noté, j'entretenais de très bons rapports tant avec mes supérieurs, mes collègues qu'avec les autorités militaires et les réfugiés, mais tout cela était fini: j’allais être renvoyé. Mon chef écouta. Il était manifestement très embêté. Il me demanda de lui écrire et faxer le rapport de l'incident sur le champ, et me dit qu'il allait faire marcher l'assurance; il ajouta qu'il envoyait aussitôt une équipe de nos techniciens télécoms pour remettre sur pied l'antenne au plus vite. Les techniciens arrivèrent dans la nuit, et l'antenne fut remise debout deux jours plus tard. Là non plus, je n'ai pas été renvoyé. 

4. Siem Reap, Cambodge (1993):  réunion urgente au quartier général militaire de l'APRONUC de Siem Reap. J’étais un peu en retard, et pénétrai rapidement avec mon Landcruiser dans le parking improvisé qu'était le champ en friche en face du QG. Alors que je descendais de ma voiture, un soldat australien vint à moi précipitamment, et après un bref salut au garde à vous, me lança avec grande colère dans les yeux et dans la voix: "-Sir, did you see what's you've done?" ("-Monsieur, vous avez vu ce que vous avez fait?"), pointant du doigt un amas de ferrailles au loin. Je ne compris pas. C'est alors que je réalisai soudain… le cauchemar!… le cauchemar se reproduisait! Je venais de descendre une autre antenne de radio! Ces soldats étaient en train de la monter, et en me garant, je venais- UNE FOIS ENCORE! - de sectionner le câble d'amarrage et flanquer par terre une antenne radio!

Je me confondis en excuses, et promis d'aller voir leur supérieur au plus vite pour lui expliquer ce qui s’était passé et lui offrir réparation; ce que je fis naturellement aussitôt après la réunion. 
L'incident n'eut aucune conséquence ...si ce n'est que je regarde dorénavant les antennes radio comme un bûcheron inquiet regarde les arbres! 

Épilogue: ce n'est que sept ans plus tard qu’on me diagnostiqua un double glaucome aux deux yeux, causant de gros trous dans mon champ de vision, ce qui semblerait expliquer que je n'ai pas pu voir ces câbles d'antennes. Un diagnostic qui me valut pas moins de quatre opérations par la suite. Hmm… la belle excuse!  


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*l'une est à la retraite, et l'autre est représentante de l'OMS en Océanie.

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Périodes: Executive Director of Medicam, UNHCR Roving Protection Officer, UNBRO Special Prgramme Officer, UNTAC Human Rights Officer,  

2 commentaires:

  1. Bah... 2 ego froissés, une naïveté découverte à l'occasion d'une traîtrise et du matériel cassé ne constituent pas des motifs réels et sérieux de licenciement ; les tâches pour lesquelles tu es payé n'étant pas en cause...

    Par contre, faudra que tu nous expliques ta fixation à détruire des antennes ;-) , autrement qu'avec ton glaucome ; ça, c'est vraiment suspect ;-)

    Bien amicalement.

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    1. Merci Incognitototo.
      Quant à ma fixation sur les antennes? Je ne sais pas; ça doit être dans le cerveau. Il faudrait que je fasse une radio... oh non!

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