31 mai 2011

Sisyphe fait de l’humanitaire…

Site 8: scène de vie.
29 mai 1986: la date restera marquée au fer rouge dans la mémoire de bien des réfugiés du camp de Site 8. C’est en effet le jour où le camp fut intensivement bombardé par les "troupes de Heng Samrin" - comme on les appelait de ce côté-ci de la frontière - et les Vietnamiens. Qu’importe - diront certains - Site 8, c’est un camp de Khmers Rouges, ces derniers n’ont que ce qu’ils méritent! Sauf qu’un "camp khmer rouge", c’est un camp, certes sous administration Khmère Rouge, mais dont la population est essentiellement composée de femmes, d’enfants, de vieillards, et de handicapés. Les hommes valides,  combattants dans les rangs de l’armée du Kampuchéa démocratique (l’armée des Khmers Rouges) vivant quant à eux dans les camps militaires satellites (non soutenus par les Nations Unies). Or, ce jour-là, c’est bel et bien le camp civil qui était bombardé. 

Quand l'humanitaire s'en fiche royalement.

Le roi et la reine accordent
une audience
C’était un beau congrès scientifique[1] que nous organisions, l’Institut Pasteur et nous, et la tradition de ce grand hôtel de Hué, voulait que le soir du premier jour de congrès, tous les participants revêtissent les costumes de la cour royale de Hué de l’époque. C’est alors que je fus désigné roi. Roi du Vietnam. Dire que j’étais gêné est un euphémisme. Je ne savais plus où me mettre. Oh, je ne me faisais aucune illusion quant à la raison pour laquelle j’avais été si démocratiquement élu roi : ce n’était pas du tout du à un quelconque charisme reconnu chez moi par mes pairs, mais simplement parce que je représentais la Banque Asiatique du Développement, le principal bailleur de ce congrès. S’il me restait encore la moindre illusion là-dessus, il me suffisait de voir qui avait été élue reine : la représentante de l’Institut Pasteur, le second bailleur de l’événement. Et puis, personne d’autre parmi tous les illustres scientifiques présents n’aurait – ô grand jamais ! – voulu assumer cette lourde charge royale. Bref, sans aucun mérite, ni céleste ni bassement terrien, je me retrouvais soudain Roi. Qu’allai-je donc faire de cette fonction ? J’étais naturellement enclin à déclarer sur le champ la monarchie constitutionnelle, voire à abdiquer, mais cela eut été faire offense à nos sympathiques hôtes. Il faut parfois savoir se plier de bonne grâce aux traditions, diplomatie oblige ! 

28 mai 2011

Il fera meuh la prochaine fois.

Un jour, dans le camp de Site 2, on m’informe par radio qu’un échange de rafales d’armes automatiques s’est fait entendre du côté de la route d’accès. Je fonce donc en cette direction, et très vite, tombe sur deux jeunes soldats DPPU[1], très nerveux, leur fusils d’assaut M16 en mains et les yeux fixés vers les broussailles à une centaine de mètres devant nous. Je descends de ma voiture, rejoins les soldats, et ces derniers m’informent qu’un groupe d’une vingtaine de bandits fortement armés vient de traverser la route, leur a tiré dessus, et qu’ils ont riposté. Maintenant les bandits se sont enfuis dans les broussailles que les soldats continuent de scruter avec fébrilité. Comme nous sommes totalement à découvert sur cette route et qu’il n’y aucune tranchée aux alentours, j’invite les jeunes soldats à s’abriter derrière ma voiture pendant que j’appelle à la radio mon collègue onusien coordinateur de la sécurité du jour, ainsi que le commandant de la DPPU pour les informer de la situation. 
Soudain, quelque chose semble bouger de derrière les broussailles ; le soldat à mes côtés dirige aussitôt son fusil M16 en direction du mouvement suspect, se tourne nerveusement vers moi et les yeux remplis d’effrois m’interroge: « -Je… je tire?».  Je ne suis pas habilité à donner des ordres aux soldats de la DPPU, mais puisqu’il semble vouloir mon assentiment, je regarde les broussailles, et lui réponds «-non, attendez, on ne sait pas encore de quoi il s’agit ; tirez que si on vous tire dessus... » Bien m’en prit, car à cet instant précis, de bons vieux paysans thaïlandais – de ceux qui font habituellement du marché noir avec les résidents du camp --  et leurs buffles, sortirent nonchalamment des broussailles et passèrent leur chemin, sous les regards médusés des deux jeunes soldats... Les bandits devaient être partis depuis belle lurette, et c’est in extremis que de pauvres paysans thaïlandais avaient manqué de se faire zigouiller pour eux. Je comprends mieux aujourd’hui comment les bavures peuvent si vite arriver. 


Période UNBRO, 1988, Camp Officer, Site 2, frontière khméro-thaïlandaise.

[1] Displaced Persons Protection Unit, cette force paramilitaire thaïlandaise, spécialement assignée à la protection des camps de réfugiés et de personnes déplacées, créée sur demande expresse des Nations Unies et des donateurs suite aux exactions répétées commises par la force précédente, la tristement célèbre Task Force 80 .

27 mai 2011

Les vols en hélicos

Qui dit missions de maintien de paix ("Peace Keeping") de l'ONU, dit souvent de très nombreux vols en hélicoptères, avec tous les bons et les "moins bons" côtés de ce que ça implique. La mission de l’APRONUC [1] à laquelle je participais n’y faisait pas exception. J’eus donc l’occasion de faire de très nombreux vols dans plusieurs types d’hélicoptères, variant selon les missions et mes fonctions [2]

En plus des gros avions de transport (Transall, Hercules, etc), l’APRONUC disposait aussi d’une énorme flotte d’hélicoptères de tous genres; ça allait des petits Bell pilotés par les australiens, aux très gros porteurs Mi26 russes, en passant par les Pumas pilotés impeccablement par l’armée de l’air française. Néanmoins l’écrasante majorité des appareils de la flotte étaient les appareils russes, notamment les Mi16, Mi17 et Mi26, pilotés comme il se doit par des russes. Or nous étions en 1992-1993, c'est-à-dire quelques mois à peine après l’effondrement de l’empire soviétique. C’était donc avec un sentiment étrange, teinté d’ironie, que nous montions à bord de ces hélicoptères, fraîchement repeints en blanc et arborant le logo "UN" des Nations Unies, et qui, quelques poignées de mois auparavant, volaient encore sous couleurs soviétiques et "cassaient du Moudjahiddin" dans les montagnes afghanes.
Voici, ci-dessous quelques petites anecdotes liées, d’une manière ou d’une autre, à ces vols en hélicos:

23 mai 2011

On connait la musique

J’étais alors dans le camp de réfugiés de Khao-I-Dang où, deux fois par semaines, je donnais en tant que bénévole, des cours de judo adapté à l’école des handicapés de l’International Rescue Committee (IRC) (pour le contexte voir aussi l’article précédent Au-delà des maux). Le premier jour, Silvia, la directrice philippine de ce grand et bel établissement en bambou, me fit gentiment visiter toute l’école et nous passâmes rapidement d’une classe à l’autre. Lorsque nous entrâmes dans cette classe de jeunes enfants de 4 à 7 ans, ces derniers nous accueillirent avec de tels sourires que j’eus envie de leur faire plaisir. Je sortis alors de ma poche mon fidèle instrument de musique, ma petite guimbarde, et entrepris de leur jouer quelques morceaux. Devant leurs mines réjouies, je décidai de me lancer dans tout un récital. Leurs éclats de rire et leurs applaudissements faisaient chaud au cœur. J’étais donc très content de moi lorsque je pris congé d’eux. Je sortis de la salle avec un grand sourire, refermai doucement la porte de la salle, et lus alors le petit panneau qui y était apposé: c'était une classe d'enfants sourds. 

 Période OHI, Khao-I-Dang, 1985, Volontaire BioTuc

Khmers Rouges et Droits de l'Homme (Partie II)

[NB. pour le contexte, voir l'article précédent "Khmers Rouges et Droits de l'Homme"]

Un jour, alors que je pénétrai dans le poste de police du camp d’O’trao, un homme en sortit précipitamment et disparut aussitôt. Mon assistant me prit par le coude et me dit : « -Tu sais qui c’était ? » Devant mes yeux interrogateurs, il poursuivit « - C’est le chef-adjoint de la police de Ta Mok ! ». Je réalisai soudain l’importance du personnage et de la rencontre : Ta Mok, c’est en effet ce chef Khmer Rouge que les cambodgiens surnomment communément "le boucher du Cambodge " tant sont connus sa cruauté, ses brutalités et ses exactions. Je savais bien sûr qu’il était le leader Khmer Rouge qui dirigeait les camps militaires satellites à quelques kilomètres de là, par-delà la frontière, d’où venait la population civile réfugiée à qui nous portions secours ; mais en tant qu’officier onusien, j’avais ordre de ne pas m’impliquer de quelque manière que ce soit avec les militaires de la Résistance. Mais là, il s’agissait de force de police, pas militaire, et je trouvai l’occasion trop belle d’approcher ce cadre Khmer Rouge, et tenter de nouer un dialogue, aussi futile – ou pervers ? - que cela put paraître. Je priai mon assistant de rattraper l’homme illico et l’inviter pour une conversation. Mon assistant sortit en courant et revint quelques minutes plus tard accompagné du policier Khmer Rouge.