14 déc. 2013

Aux journalistes affamés…

Ah, comme ils étaient heureux ces journalistes. Ils avaient trouvé LE scoop! De surcroît, parmi les plus excitants: ceux qui lient le scandale à l'humanitaire!
Ils étaient venus visiter le camp de réfugiés dans lequel nous œuvrions, ils avaient interviewé des réfugiés et des nôtres, puis s'étaient aventurés un peu à l'extérieur du camp -- oh, pas bien loin, quelques dizaines de mètres au-delà des barbelés -- et y avaient  "découvert" … un marché noir! Et qu’y virent-ils alors? Ni plus ni moins, les réfugiés vendant les produits qui leur étaient si gracieusement offerts par l'aide humanitaire internationale! Voilà bien une preuve de la gabegie humanitaire! On leur donne trop puisqu'ils le revendent aussitôt au marché noir!

L'article fut vite ficelé et publié. Scandale.
Branle-bas de combat aux Nations-Unies, au Quartier général des militaires responsables des camps, et chez les humanitaires.

Dommage. Très dommage.
Voici  ce que ces journalistes auraient découvert s'ils avaient investigué un peu plus:

14 sept. 2013

Trevor, mon frère.

Après un baccalauréat passé de justesse, je rêvais déjà de parcourir le monde, et je m'étais inscrit - un peu trop précipitamment sans doute - dans une école privée qui préparait à un BTS de tourisme. Hélas, je me rendis vite compte que cet établissement n'était qu'une "boite-à-fric", pas sérieuse et franchement malhonnête. Échaudé par l'expérience, et ne voulant plus voir mes parents dépenser quoi que ce soit pour moi, après le gâchis de ce premier trimestre, je décidai de quitter ces études et de partir illico travailler en Angleterre. Ainsi, mon année n'aurait pas été perdue complètement puisque j’allai au moins pouvoir améliorer mon anglais, condition sine qua non pour voyager dans le monde. 
 
Me voici donc un beau matin, à 18 ans, traversant la Manche sans savoir encore où je coucherai le soir. J'avais bien fait quelques recherches (difficile, pas d'Internet à l'époque!) et trouvé quelques possibles petits boulots, dans des hôtels de Londres notamment; voire de bénévole dans des centres pour personnes handicapées, mais rien de précis ni de décidé. J'arrivai donc à la gare Victoria en début d'après-midi sans trop savoir où aller ensuite. Je ne me souviens plus du tout de ce qui a présidé à mon choix, mais je me rappelle seulement à la gare routière être monté dans le bus pour Nottingham, ville où j'avais quelques chances d'être accepté comme volontaire-bénévole dans un centre pour handicapés. J'arrivai à la nuit tombée, et parcourus à pieds les rues de la ville, ma valise à la main,  cherchant le centre Skylark du Winged Followship Trust (WFT). 

8 sept. 2013

Partir… parce qu'il le faut.

De retour d'une consultance aux Philippines, j'étais dans l'avion assis aux côtés de deux petites musulmanes, adorables, un peu timides, vêtues de superbes costumes traditionnels et bien sûr coiffées l'une et l'autre de leurs voiles. Bien qu'elles semblaient d'origine très modeste, elles s'étaient visiblement habillées de leurs plus beaux effets, et ces derniers étaient tout neufs. Alors qu'elles remplissaient leurs formulaires d'immigration, j’eus quelques secondes sous les yeux leurs papiers, et je compris tout de suite: comme des dizaines de milliers de jeunes filipinas de leur âge, ces deux petites musulmanes fuyaient la misère des Philippines et partaient vendre leurs bras comme femmes de ménages ("household services") à l'étranger; en l'occurrence pour elles deux, dans les pays du Golfe. Elles travailleront alors dur, très dur, et vivront de la manière la plus chiche possible pour pouvoir envoyer l'essentiel de leur petit salaire à leurs familles, là-bas, à la maison, aux Philippines. C'est là le lot de millions de Philippines et Philippins dans le monde (femmes de ménage, ouvriers, marins, aides-soignantes, etc.)… 

Lorsque l'avion commença doucement à s'ébranler, annonçant l'imminence du décollage, je vis les deux petites se frotter les yeux discrètement, puis se tourner vers la fenêtre pour cacher leurs larmes. Je sais les Philippins attachés viscéralement à leurs familles, et je sais l'avenir difficile qui attendait ces deux petites; je me doutais alors de la douleur qui déchirait ces deux petits cœurs à côté de moi. Mais c'est lorsque je vis de dos leurs petits corps secoués de sanglots silencieux, que j'eus le plus de mal à retenir les miens. 
Ces mots du père Joseph Wresinski* me revinrent alors en force: "C'est ça la misère; ne jamais pouvoir être sûr de garder près de soi ceux qu’on aime."


* fondateur d'Aide à Toutes Détresses Quart Monde (ATD)

Période: Consultant.

25 août 2013

Sur mes gaffes et mes erreurs… Silence radio.

C'est trop facile de se faire mousser dans un blog. Trop facile de faire croire que mes missions ne furent qu'un long parcours tranquille couronné de succès. En vérité - et je n'en suis vraiment pas fier - mon parcours humanitaire fut aussi émaillé de gaffes, voire de fautes professionnelles. Chaque fois, j'ai appris de ces expériences, mais elles restent encore en ma mémoire comme autant de brûlures au fer rouge… 

1. Phnom Penh, Cambodge (1999): alors directeur d'un collectif d'une centaine d'ONG (MEDICAM), j'avais parmi mes prérogatives annuelles d'organiser une large consultation de ces mêmes organisations, dans le but de produire un papier officiel très attendu présentant "la position des ONG sur la réforme du système de santé au Cambodge".  Fier et jaloux de son indépendance, le conseil d'administration de MEDICAM voulait ce rapport analytique, direct et incisif. Une fois l’article rédigé et la revue rédactionnelle passée, le papier était largement diffusé et repris par les journaux nationaux, suscitant débats et discussions parmi les professionnels.
C'est lors d'un de ces exercices annuels que je commis cette sérieuse faute professionnelle que je ne suis pas prêt d'oublier. A peine l'article avait-il été publié que je reçus une lettre - incendiaire! - portant en en-tête pas moins de DEUX logos de grosses agences bilatérales actives au Cambodge: l'agence de coopération internationale australienne (AusAid) et l'agence de coopération internationale allemande (GTZ). Fait rarissime, la lettre était donc co-signée  par les deux directrices locales de ces agences; elles me critiquaient très vivement, s'interrogeant sur mes compétences en tant que directeur de ce grand collectif, et appelant à ma démission ou à mon renvoi sur le champ. J'étais terrorisé, abattu, cassé. Qu'avais-je donc fait?

25 mai 2013

Ramage et plumage

"-Et pourquoi ne viendriez-vous pas visiter l'université?  Venez mercredi, j'enverrai le chauffeur vous prendre à votre hôtel à 9:00 heures, ça vous va?"
J'avais accepté avec plaisir l'invitation du Professeur Oum Sophal à venir visiter son université. D'une part parce que l'université des sciences de la santé du Cambodge est un lieu intéressant, mais aussi parce que l'amitié du professeur m'était chère. Nous nous connaissions depuis déjà plus d'une dizaine d'années, et la relation qui s'était instauré entre nous dépassait les solennités d'usage.   
Lorsqu'il avait appris que j'étais de passage à Phnom Penh, il m'avait aussitôt appelé, et arrangé très gentiment un dîner au cours duquel ce francophile et francophone qu'il était pouvait encore pratiquer son français dans autant  de discussions intéressantes.
C'est lors de ce diner qu'il me fit très amicalement cette invitation à passer le voir plus tard dans la semaine. Au jour dit, j'enfilai un jeans et une chemisette, chaussai mes baskets,  et son chauffeur vint me prendre à mon hôtel comme convenu. Nous filâmes sur l'université, et alors que nous approchions du bâtiment et je que commençai à apercevoir des silhouettes… je fus pris d'un certain malaise à la vue de la scène vers laquelle nous avancions: le professeur m'attendait  sur le perron, entouré de tout un aréopage de cadres de l'université, tous habillés on-ne-peut-plus officiellement de leurs plus beaux costumes-cravates. Je réalisai soudain que le professeur m'avait sans aucun doute invité ce jour-là bien moins en tant qu'ami qu'en tant que titulaire des fonctions que j'occupais alors[1]. Grave erreur de jugement de ma part!  
Je descendis lentement et quelque peu hésitant de la voiture, et gravis les marches du perron comme un chien qu'on appelle pour prendre sa raclée. Dès que je posai le pied sur le perron, le professeur vint me serrer la main avec un sourire quelque peu embarrassé, un regard discret sur ma tenue. Je m'empressai de lui glisser à l'oreille "-écoutez, je crois que je n'ai pas bien compris la nature de cette visite; est-ce que vous permettez que votre chauffeur me ramène tout de suite à l'hôtel pour que je puisse me changer?". Il me répondit avec un petit rire gêné et sur un ton peu convaincant "-non, non, ce n'est pas grave…". J'insistai, et il accepta aussitôt. Je tournai les talons illico, descendis les marches quatre à quatre, sautai dans la voiture et filai sur l'hôtel. Là, en un temps record j'enfilai mon costume, nouai ma plus belle cravate, chaussai mes chaussures de ville, et courus remonter dans la voiture qui me ramena sur le champ à l'université. Le comité de réception m'attendait toujours debout et au grand complet. Je fis donc un remake de la scène -- cette fois dans sa version "sans embarras" - gravissant maintenant les marches un sourire aux lèvres. Arrivé sur le perron, le professeur joua le jeu, et dans un éclat de rire beaucoup plus léger, vint me re-serrer la main, me re-souhaitant la bienvenue et me présentant alors tous les cadres présents. 
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Ce jour-là, avec le Prof. Oum Sophal
APRÈS m'être changé...
Le reste de la visite fut TRÈS officiel: passant d'une faculté à l'autre, entrant dans les amphithéâtres en plein cours où l'on me tendait le micro pour dire quelques mots aux étudiants, le tout couronnée d'une cérémonie en grande pompe où le professeur et moi signâmes un contrat de financement de recherche (que nous avions préparé plusieurs semaines auparavant), etc. Avec tout ce cérémonial, je ne regrettais pas du tout de m'être changé pour faire honneur à mes hôtes… même si cet ajustement avait dû passer par une scène assez cocasse!  Je pense que le personnel de l'université s'en rappelle encore… 

Période Asian Development Bank, 2003-2010

[1] Coordinateur régional de la Banque Asiatique de Développement du programme GMS-CDC.

20 mai 2013

Laos: mission de terrain – séjour en village K’hmu.


25 février 2002 au matin: lever matinal (5:30 heures) pour prendre l’avion de Xieng Khuang à 7:45 heures. Le chauffeur vient me prendre à la maison à 6:00 heures. Nous passons prendre Dr Phone chez elle et filons sur l’aéroport Watay de Vientiane. Les formalités passées, nous attendons en salle d’attente… quatre heures ! La raison invoquée pour ce long retard est que Xieng Khuang est encore plongé dans le brouillard et l’avion ne pourrait pas y atterrir. En attendant, la Lao Aviation a envoyé notre avion sur Phnom Penh! Enfin nous décollons vers midi et demi dans… un Yak 7! Dire que nous avions choisi ce trajet précisément pour éviter le Yak et prendre un ATR! Quoi qu’il en soit, le voyage est court (30 mn) et sans encombre. Je suis toujours très étonné de voir qu’au Laos – pays pauvre par excellence – tout le monde semble pouvoir se permettre l’avion. On voit ainsi les paysans monter à bord avec leurs poules et autres volailles dans les costumes traditionnels les plus bigarrés. Un des bons côtés de la démocratisation des voyages aériens?

23 mars 2013

Bad feelings

[Site 2, camp de réfugiés cambodgiens, frontière khméro-thaïlandaise, 1988].

On m'appelle sur le canal d'urgence: c'est la déléguée de la Croix Rouge internationale qui m'informe qu'un homme déchaîné est en train de détruire des maisons et menacer les habitants dans une section du camp de Dong Rek.  Je me précipite sur le lieu de l'incident, que je trouve facilement par l'attroupement qui s'est fait autour de la scène. Je fends la foule et peux alors voir au centre, un homme dans la trentaine, vraisemblablement intoxiqué, le visage torturé de grimaces menaçantes, qui brandit une énorme massue. J'aperçois derrière lui plusieurs habitations détruites; il faut dire que ces petites  cahutes de bambou ne sont pas non plus très robustes.
Depuis quelque temps nous avions remarqué des sautes de violence liées à l'alcool dans le camp. Mais c'est par accident que nous en avions compris la cause: c'est en effet en investiguant sur le vol mystérieux d'organophosphates que nous utilisions dans la lutte contre la dengue, que nous avions découvert que les gens mélangeaient leur alcool de riz local avec cet insecticide …pour le rendre plus fort! Cela faisait de véritables ravages sur le cerveau.