27 déc. 2015

Les gens, c’est compliqué… mais c’est passionnant !

Diriger un projet humanitaire ou de développement, c’est bien sûr gérer un budget, des échéances, résoudre des questions techniques, voire politiques ou diplomatiques, ou plus bassement bureaucratiques, mais le plus difficile - et par là, le plus passionnant - restera toujours… de gérer l’équipe!
Voici donc quelques anecdotes de gestions d’équipe :

[Hanoi, Vietnam]
Un jour, mon assistant, un jeune médecin vietnamien, pénétra avec fracas dans mon bureau, et explosa :«-Sir, j’en ai ras le bol de faire votre boulot !!!»  Voilà le genre de situation que je n’avais encore jamais connue dans aucun autre pays. Les Vietnamiens n’ont décidément rien à voir avec les autres habitants d’Asie du Sud-Est, où la culture proscrit de hausser le ton, a fortiori avec son chef. L’interjection me tomba dessus comme une masse, j'étais sonné, ne comprenant pas ce qu’il se passait. Il me dressa alors une liste de tâches que je lui ai confiées et qu’il estimait relever plus de mes prérogatives que des siennes. Je saisis enfin de quoi il s’agissait… 
Dans le marché du travail, une des stratégies les plus communes pour garder son poste est de se rendre indispensable. Pour un professionnel du développement, c’est exactement le contraire ; il se doit de respecter une exigence qui n’existe pratiquement nulle part ailleurs : se rendre inutile le plus vite possible. C’est ce que j’ai fait depuis que j’ai eu à mener des équipes dans des projets de développement. L’approche de mentorat est la seule approche souhaitable, car elle permet au terme d’un processus long et difficile de s’assurer qu’un transfert de connaissance et de savoir-faire a bien eu lieu et qu’au départ du mentor, l’équipe sera capable de tourner seule, voire de prendre des initiatives et poursuivre le processus de développement. Au Medicam, par exemple, j’avais adopté un système de « pre-screening » : tout courrier qui m’était adressé en tant que directeur devait d’abord passer par mon assistant, un médecin cambodgien, qui devait sur un petit papier (slip) écrire ce qu’il pensait devoir être fait de ce courrier, la réponse à y donner, l’action à entreprendre, à qui référer, le classement, etc. Nous revoyions alors ensemble sa note et discutions du bien-fondé de chacune de ses suggestions. Je lui faisais alors écrire le brouillon de la réponse au courrier ou planifier l’action à entreprendre. Après un départ très confus jusqu’au moment où sa maitrise fut telle que je n’avais plus rien à dire, voire que  je pouvais lui demander conseil, les progrès furent spectaculaires. Après mon départ, cet assistant prit un poste de directeur d’une ONG dans lequel il excella.     
 
Me voilà donc aujourd’hui avec mon assistant vietnamien, exprimant toute sa rage contre le travail que je lui confiais. Je réalisai que nous abordions là un instant-charnière de notre vie d’équipe. Je le pris donc à part pour une discussion en profondeur. Je lui expliquai alors calmement les raisons de mon approche, lui faisant notamment remarquer que chaque fois qu’il avait buté sur une des tâches que je lui confiais, j’avais toujours été là pour lui expliquer comment procéder, voire en le faisant moi-même la première fois. Il en convint. Je lui expliquai qu’il avait tout à gagner à assumer ces responsabilités que je lui confiais, mais que je pouvais les lui reprendre s’il le désirait. Il retourna pensif dans son bureau.
Il ne revint plus jamais avec ses éclats de voix, mais m’appela souvent dans son bureau pour que je lui explique quelques trucs du métier, voire pour que nous résolvions ensemble des problèmes dont je n’avais pas la réponse moi-même. Au cours de cette mission, j’ai même pu confier des pans entiers et importants de notre cahier des charges à cet assistant, n’assurant de mon côté qu’une supervision de forme. Naturellement, je me fis un point d’honneur de dûment féliciter, et en public, mon assistant pour son très bon travail et ne jamais chercher à m’attribuer le succès. De toute façon, les bons résultats d’un projet grâce au travail de l’équipe, en général finissent toujours par embellir le CV de chacun de ses membres, y compris  de son leader.
 
Encore aujourd’hui, bien après la fin du projet, je recroise toujours avec plaisir mon ancien assistant vietnamien, lorsque ce dernier est de passage à Bangkok ou moi à Hanoi. Nous nous remémorons alors cette mission, et invariablement il me redit «- Vous avez été mon meilleur boss! ». Ce à quoi je lui rappelle ce jour où il me jeta si violemment au visage : «J’en ai ras le bol de faire votre boulot !!! ». Et de partir en chœur dans un grand éclat de rire… [Tranche de vie].
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Dans le monde humanitaire comme dans celui du développement, on trouve bien sûr tous les types de personnalités qu’on pourrait trouver ailleurs, mais il semble toutefois que certaines soient surreprésentées: les gros « egos ».

[Vientiane, Laos]
Lorsque je pris la direction d’un projet de la Commission Européenne au Laos, je me suis retrouvé soudain dans une situation très inconfortable. Je reprenais en effet une équipe déjà constituée, avec un aspect particulièrement difficile à gérer : j’avais sous mes ordres, un expert britannique de plus de 28 ans mon ainé, qui avait déjà fait une carrière de 35 ans à l’OMS, et qui plus est, avait acté comme directeur-par-intérim du projet plusieurs mois avant mon arrivée. Malgré une politesse de façade, il était clair que cette situation lui déplaisait au plus haut point. Il se mit alors à me tester en permanence pour me mettre à l’épreuve. C’est au cours des réunions hebdomadaires du personnel que ses frustrations s’exprimaient avec le plus d’agressivité, notamment en remettant sans cesse en question ma manière de traiter les questions du jour. Il se faisait alors un malin plaisir à me contredire, voire me ridiculiser devant le staff. La tension était palpable à chaque réunion, et le personnel laotien assistait, silencieux et pétrifié, à ces joutes verbales. Le climat délétère qui régnait entre nous me rongeait de l’intérieur. Ce n’était pas du tout l’esprit d’équipe auquel j’aspirais.
 
Un jour, le numéro deux de la Délégation régionale de la Commission Européenne (qui deviendra plus tard ambassadeur de l’Union Européenne en Afrique), un Italien très haut en couleur, avec lequel je m’entendais bien, nous rendit visite. Il me prit à part et nous discutâmes des progrès du projet, ainsi bien sûr que des difficultés rencontrées. Par erreur, ou était-ce plutôt par exaspération, je finis par lui faire part des difficultés que j’avais avec cet expert britannique. Sa gestuelle très expressive et bien italienne se figea alors, et me fixant du regard et se penchant vers moi me souffla: « -On le fait sauter ? ». J’étais pris de court, choqué par une telle proposition. J’avais un orage dans la tête…  Sans vraiment avoir pu prendre le temps de réfléchir, je m’entends encore lui répondre :«-Non, non, ce serait trop injuste… ». Et d’ajouter que c’était la faute de la Commission Européenne d’avoir constitué une équipe aussi bancale. Après tout, je comprenais très bien les frustrations de mon collègue britannique d’avoir été placé sous la direction d’un directeur beaucoup plus jeune que lui. Je me lançai alors dans un plaidoyer pour sa défense : je reconnus ouvertement ses très grandes compétences techniques, je soulignai le respect qu’il inspirait à nos collègues laotiens et son rôle de mentor non négligeable. Je conclus donc par : « Non… Merci de me proposer cette solution… mais je vais régler ce problème moi-même.» 
 
Quelques jours plus tard, à la suite d’une autre session houleuse de notre réunion du personnel, j’appelai mon collègue britannique dans mon bureau pour mettre les choses au point.  Dans un climat superficiellement courtois mais clairement glacial, je lui exposai tout de go que je ne pouvais plus accepter cette hostilité permanente de sa part, qui nuisait tant au projet qu’au climat général de l’équipe. Après qu’il eût violemment nié toute résistance de sa part, nous convînmes l’un et l’autre d’un gentleman agreement et d’un modus vivendi honorable: je lui laissais carte blanche pour gérer tous les aspects techniques du projet, pour lesquels je reconnaissais sans conteste la supériorité de ses compétences, et il ne s’immiscerait plus dans la direction générale du projet qui restait dans mes prérogatives. Conscient de son âge te de son expérience, je lui laissais aussi à part égale un rôle de représentation  du projet. L’accord fonctionna ; avec bien sûr des hauts et des bas, mais l’ambiance était dorénavant sauvée. Un respect mutuel s’établit peu à peu entre l’expert britannique et moi, et les réunions d’équipe se firent vivantes et fructueuses. Cette bonne coopération, optimisant la complémentarité de nos compétences respectives, fut la clef du succès de ce projet.
 
Trois ans plus tard en effet, ce projet terminé et alors que je prenais mes fonctions au bureau régional de l’OMS à Manille, j’assistai un peu en retrait à une réunion technique sur le contrôle du paludisme ; un projet y fut alors cité comme particulièrement «successful», et pourrait servir de modèle... Quelle ne fut pas ma surprise et ma joie d’entendre qu’il s’agissait du projet que nous avions mené, mon collègue britannique et moi. Petit sourire intérieur ; il n’y a pour moi aucun doute qu’un des facteurs prépondérants du succès de ce projet a été la grande compétence de cet expert britannique, et je me réjouis d’avoir su le garder dans l’équipe en dépit des débuts difficiles. Jamais il n’aura su ce qui s’était un jour tramé dans son dos.
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[Hanoi, Vietnam]
Le projet régional de la Banque Asiatique du Développement était suffisamment complexe comme ça, pour ne pas en plus avoir à faire avec des personnalités « pas faciles ». Mais c’était ainsi. Encore une fois, j’héritais d’une équipe que je n’avais pas choisie et je devais faire avec, quels que soient les egos. Un des experts dont je devais assurer la supervision avait une attitude particulièrement déstabilisante. Il s’agissait  d’un Australien de Tasmanie,  qui agissait en «backstabber» [celui qui poignarde dans le dos] de première classe. Ainsi, alors qu’il était très courtois en face-à-face, mes équipiers et moi avions remarqué à plusieurs reprises qu’en nous court-circuitant allègrement, il envoyait régulièrement au siège des courriers très critiques à l’égard de notre bureau régional de coordination et sur mon compte. Ses commentaires étaient blessants et souvent faux. A la lecture de ses courriers, qui nous arrivaient par accident (les fameuses traitrises des trails des courriels), mes employés étaient fous de rage, et ne pouvaient s’empêcher de m’exhorter à répondre sur-le-champ et de la manière la plus violente qui soit, notamment en exigeant du siège son renvoi immédiat. Ce n’était pas l’envie qui m’en manquait, mais cela ne me semblait pas la meilleure solution ; cet expert avait des compétences que je voulais exploiter pour la réussite du projet, et je préférais résoudre cette question autrement. A la grande surprise de mon staff, je leur demandai de voir point par point toutes les critiques qui nous étaient faites et de convenir en toute honnêteté si elles étaient fondées ou non. Il leur fut d’abord difficile de mettre de côté leur ressentiment, mais peu à peu, ils y parvinrent. Je leur priai alors d’attendre encore un ou deux jours, que les émotions retombent, avant de répondre aux critiques de la manière la plus factuelle et professionnelle qui soit. Mieux, j’invitai le staff à réfléchir à tout ce que cet expert apportait de bien au projet. Là encore, ce fut compliqué pour eux, mais ils surent le faire. Le terrain était alors mûr pour retenter l’intégration réelle de cet expert au sein de l’équipe. 
Après plusieurs mois de cette approche douce et sans vengeance, les efforts payèrent. Non seulement les messages assassins de cet expert disparurent, mais en plus celui-ci se mit à soutenir ouvertement les efforts de notre équipe régionale auprès du siège. Il passa à notre bureau pour une séance de travail et la relation entre le staff et lui se fit positive. Finalement, les apports respectifs de notre bureau et de tous les experts sous notre tutelle menèrent à de bons résultats. Plusieurs années plus tard, une évaluation indépendante de ce projet déclara ce dernier «successful».  Mon ancien assistant, qui avait été si fâché de ne pas me voir réagir avec violence aux propos désobligeants de cet expert « backtabber », et avait ensuite vu les résultats d’une approche plus douce et professionnelle, me rappelle toujours ce qu’il a pu apprendre avec ce cas.     
 
[Épilogue] Quelque cinq années après la fermeture de ce projet,  je reçus une invitation pour mener un autre projet régional similaire de la BAD. Cette invitation m’était adressée sur recommandation… de ce même expert australien qui m’avait tant « poignardé » au début du projet!  La roue tourne… ;)
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[Phnom Penh, Cambodge] Voilà plusieurs jours que j’avais demandé une chose à la petite femme de ménage de notre bureau, en vain. Un peu exaspéré, je l’appelai et lui demandai une explication. Toujours aussi timide et polie qu’à son habitude, elle me donna une réponse que je ne compris pas. Après qu’elle eût tourné les talons, mon staff m’expliqua gentiment la situation : «-Sir, elle ne peut pas le faire, elle ne sait ni lire ni écrire!»  Je tombai des nues : c’était la première fois que je découvrais une personne analphabète au sein de mon équipe.
Conseil de guerre : je réunis illico les cadres de ce petit bureau et leur demandai s’ils accepteraient de prendre une heure de leur temps de travail, tous les jours et à tour de rôle, pour enseigner à lire et écrire à notre petite femme de ménage ; je me chargerais pour ma part des quelques frais de livres et papeterie pour cette initiative. Non seulement ils acceptèrent, mais ils se firent même un point d’honneur de remplir ce rôle sur leur temps propre, et non sur leur temps de travail. Cette solidarité entre staff me réjouit et j’étais fier de mon équipe.
Quelques mois plus tard, notre petite femme de ménage arriva tout sourire au bureau avec en main un journal qu’elle ouvrit, et nous démontra qu’elle savait enfin lire. Avec un grand sourire aux lèvres, elle nous déclara: « -Avant, c’était comme si j’étais aveugle, je ne voyais rien. Maintenant je peux tout lire, le nom des magasins, le journal, tout ! ».  Joie dans son regard, et joie en la demeure… Dieu merci, la solidarité n’existe pas que dans les « projets »… :)
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Qui dit gestion du personnel dit étape primordiale du recrutement ; pas toujours facile de trouver la perle rare.
 
[Hanoi, Vietnam, 2006 ] Il me fallait alors recruter une comptable expérimentée pour la gestion des finances de notre projet régional (Banque Asiatique du Développement). Les étapes préliminaires des annonces, de la sélection sur dossier étant faites, nous en étions arrivés au jour des entretiens. Entra alors une jeune femme dans la trentaine, manifestement au caractère bien trempé et assez sûre d’elle. Ses réponses aux questions du panel étaient assez pertinentes, mais c’est surtout à la fin de l’entretien que les choses se jouèrent : comme à l’accoutumée, je demandai à la candidate: «-De votre côté, avez-vous aussi des questions à nous poser? ». Elle fit alors une courte pause, réfléchit, puis avec des petits yeux malicieux me fixa du regard : « -Oui. Que devrais-je faire si vous m’ordonnez de faire quelque chose qui est contre les règles? ». Je fus un peu pris à dépourvu, mais j’aimais la question et surtout l’audace qu’elle avait eu de la poser. Je comprenais très bien : elle avait auparavant travaillé avec plusieurs compagnies vietnamiennes, connues pour ne pas rechigner sur les entorses aux règles et à la loi. Elle en avait assez de devoir courir le risque d’être arrêtée à cause de patrons irresponsables ou malhonnêtes.  
Ce fut mon tour de marquer un petit temps d’arrêt, avant de lui répondre : «- Euh… Je suis responsable de ce bureau. Dans le mot responsable, il y a « response » [en anglais : responsible >> response], cela signifie que quels que soit les ordres que je vous donne, c’est moi qui suis tenu de répondre aux contrôleurs, pas vous ». Elle fut satisfaite. Je l’ai recrutée, et elle fut notre comptable pendant les quatre années de vie du projet. Et tous nos audits furent parfaitement « clean ». ;)
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La gestion du personnel, ça implique parfois des décisions difficiles: lorsqu’il faut limoger notamment. Ce n’est jamais une partie de plaisir et c’est même parfois un vrai crève-cœur. Mais même - ou surtout - dans l’humanitaire, on ne peut pas garder les gens simplement pour être gentil. Si les compétences ne sont pas là, cela peut être très dangereux, par exemple lorsqu’il s’agit de fonctions liées à la sécurité du personnel ou à la survie de réfugiés, etc. 
 
[Vientiane, Laos] J’avais surpris plusieurs fois Kom*, un des employés de mon équipe, à jouer à des jeux vidéo sur son ordi pendant les heures de travail. En dehors du fait que ce n’est sans doute pas la meilleure des idées, cela m’irritait d’autant plus que je lui avais assigné des tâches importantes et urgentes à accomplir. Manifestement il n’utilisait pas son temps de manière optimale pour faire son boulot. Je lui signifiai donc un premier avertissement. Puis un second, après l’avoir une nouvelle fois pris sur le fait. Au troisième flagrant délit, je me devais de mettre la menace à exécution. 
Mais il y avait un os : d’une part, on ne renvoie pratiquement jamais personne en Asie du Sud-Est ; c’est faire perdre la face, une des pires choses qui puissent arriver à quelqu’un. Et puis, il y avait bien plus grave : ce jeune homme, qui avait été recruté par le directeur-par-intérim juste avant que je n’arrive, l’avait été non point pour des compétences quelconques, mais simplement parce qu’il était le fils d’un grand ponte du ministère de la santé. Mon prédécesseur avait jugé que c’était là une bonne idée pour mieux «huiler» les relations avec le ministère. Héritant de cette situation à mon arrivée dans le projet, j’avais tenté d’élever le niveau du jeune homme en lui offrant une formation en cartographie. Il avait commencé à se prendre au jeu et avait montré des prémisses de progrès, et j’avais espéré peu à peu pouvoir faire de ce recrutement douteux quelque chose d’utile pour notre projet et pour lui-même. Malheureusement, les choses avaient pris une mauvaise tournure, et je ne pouvais passer outre le mépris avec lequel il avait pris mes premiers avertissements et la manière provocatrice qu’il avait eue en récidivant. Sans doute pensait-il être au-dessus des lois, du fait de sa filiation.
Conscient du risque politique et des implications que ma décision de limoger le jeune homme pourrait avoir sur le projet, je décidai d’aller voir son père directement au ministère. Heureusement, j’entretenais de bonnes relations avec ce respectable vétéran des cavernes**. Lorsque j’annonçai au vieux médecin que j’avais quelque chose de délicat à lui dire, il comprit tout de suite et me fit: «-Vous allez virer mon fils, c’est ça ?».  Un peu pris de court, je lui répondis: « -Eh bien, disons plutôt que je ne renouvellerai pas son contrat lorsque celui-ci arrivera à échéance le mois prochain… ». Il sembla apprécier ma volonté de sauver les apparences, et ajouta : «-C’est un bon à rien ! Je ne peux rien faire de lui ! Je vais l’envoyer à l’armée, ça lui forgera le caractère ! ». J’avoue que si d’un côté je me sentais soulagé qu’il ait prit relativement bien la nouvelle, d’un autre je me sentais coupable de contribuer à cette image négative qu’avait ce père de son fils… Je garde donc un très mauvais souvenir de cette expérience. Et au Laos, les gens me connaissent comme celui qui a osé virer le fils d’un cacique, ce qui n’est pas forcément un bon passeport en ce pays.

* ce n’est pas son vrai nom
** comme on appelle ici les anciens du Pathet Lao qui se réfugièrent dans les grottes pendant les bombardements américains du « théâtre secret »


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Heureusement, les choses ne sont pas toujours aussi terribles…
 
[Hanoi, Vietnam] J’avais recruté une petite aide-comptable pour assister ma comptable principale. Heureusement, le contrat spécifiait bien qu’elle était à l’essai pendant trois mois, et que, durant cette période, la direction pouvait décider à tout moment de son maintien ou non au sein de l’équipe. Au bout de deux mois, il fut déjà parfaitement clair que la jeune femme n’avait absolument pas les compétences requises, ni techniques, ni linguistiques, et que ses lacunes ne pouvaient en aucun cas être comblées par une quelconque formation courte. Il me revint donc la pénible tâche de lui signifier la fin imminente de son contrat ; tâche d’autant plus difficile quand il s’agissait d’une jeune mère de famille, adorable en tout point. 
Lorsque je l’invitais à passer à mon bureau pour un entretien privé, elle comprit tout de suite. Alors que je lui faisais part de son limogeage de la manière la plus douce possible, je vis apparaitre sur son visage une expression de soulagement que je ne m’expliquai pas. Elle prit alors la parole et me dit qu’elle avait elle-même réalisé depuis bien longtemps qu’elle n’avait pas le niveau requis pour le travail qui lui était demandé, et qu’elle souffrait beaucoup du stress de la situation : elle comprenait donc parfaitement ma décision. Ce fut mon tour d’être soulagé. Néanmoins, je lui exprimai toutes mes excuses puisque manifestement il y a avait eu une erreur de jugement dans notre recrutement ; puis je lui souhaitai bonne chance pour la suite de sa carrière, lui laissant la porte ouverte pour le jour où elle penserait avoir acquis les compétences qui lui faisaient défaut à ce jour.
Quelques mois après son départ, la jeune femme m’envoya un mail qui me sidéra : elle venait gentiment aux nouvelles et, en toute sincérité, m’exprimait toute la gratitude qu’elle avait à mon égard pour l’avoir limogée. « -Dorénavant - m’écrit-elle - je profite beaucoup plus de mes enfants et de ma famille, et je suis heureuse…». Jamais de ma vie je n’ai reçu aussi charmante lettre de la part…de quelqu’un que j’avais limogé!

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